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Table ronde "L’Antiquité : un défi pour les sciences sociales ?"

Avec :
Jean Andreau (EHESS), Vincent Azoulay (Paris Est-Marne la Vallée), Claude Calame (EHESS), Marcello Carastro (EHESS), Cecilia D’Ercole (EHESS), Christian Jacob (EHESS), Pierre Judet de La Combe (EHESS), François Lissarrague (EHESS), Michael Konaris (EHESS), Sylvain Piron (EHESS), Pietro Pucci (Cornell University), Yann Rivière (EHESS), Filippo Ronconi (EHESS), Irène Théry (EHESS), Froma Zeitlin (Princeton University).
 
Mercredi 10 juin 2015, 10h-12h
Salle Nicolas Fabri de Pereisc, INHA
 
Depuis quelques années, un débat sur le sens des études classiques s’impose avec acuité dans nos sociétés contemporaines. Le constat d’une véritable « crise » du rôle et de la place à accorder aux Anciens dans une culture dominée par le présentisme ne manque pas de susciter un certain désarroi parmi les spécialistes. En France, les initiatives des associations de défense de l’enseignement des langues et des cultures classiques se multiplient et obtiennent même le soutien de personnalités du milieu intellectuel et universitaire. Adoptant souvent une logique « patrimoniale », les antiquisants s’interrogent volontiers sur les moyens de défendre les études classiques. Parallèlement à ce repli, force est de constater qu’une tendance s’impose à l’échelle internationale qui consiste à valoriser toujours plus l’érudition et l’expertise. Les entreprises collectives de systématisation des savoirs sur l’antiquité gréco- romaine (de l’encyclopédie au thesaurus, en passant par les lexiques) semblent prendre le pas sur des travaux de recherche fondés sur l’innovation, la problématisation des objets et le renouvellement du questionnement.
Ce repli érudit, ce retour à l’expertise pourraient s’expliquer comme des effets du discours postmoderne qui, comme l’a récemment suggéré Carlo Ginzburg, ne retentit plus dans le milieu universitaire comme il y a une dizaine d’années, mais dont les effets se ressentent profondément. Dans cette conjoncture, le dialogue entre antiquisants, anthropologues et sociologues semble connaître, à de rares exceptions près, une phase d’arrêt depuis deux décennies. Et ce, malgré une forte tradition d’échanges entre ces domaines disciplinaires dès l’époque des pionniers (Frazer, Hubert, Mauss) et dont témoignent également les travaux de la communauté scientifique qui s’est constituée autour de Jean-Pierre Vernant à partir des années 1960. A cette époque, de nouvelles pratiques de recherche voyaient le jour, fondées notamment sur l’expérience comparatiste prônée dans les années 1950 par Ignace Meyerson au sein du Centre de recherches de Psychologie comparative. C’est dans ce cadre que l’« altérité des Grecs » a fait l’objet de travaux de recherche à l’EHESS qui ont inspiré deux générations de chercheurs, bien au–delà de l’espace francophone et du cercle des antiquisants.
Il serait, certes, illusoire de concevoir une histoire de l’anthropologie des mondes anciens à l’EHESS qui serait consensuelle et sans ruptures. La dissension a pris forme notamment sous la plume de Nicole Loraux qui, dans son texte « Back to the Greeks ? »1, avait dénoncé les fondements épistémologiques de la psychologie historique de Vernant en s’attaquant au postulat, plus ou moins implicite, selon lequel notre proximité avec la Grèce, fondée sur l’idée de continuité entre les Grecs et nous, serait une condition de possibilité indispensable à la connaissance des Grecs. La critique s’attaquait également à l’unité présupposée de l’antiquité grecque et, de manière plus générale, de l’homme grec. N. Loraux défendait en effet la pluralité des réalités (politiques) particulières des cités grecques, ainsi que la coprésence de plusieurs conceptions, éventuellement en conflit, qui pouvaient exister au sein d’une même cité. Il s’agissait d’un projet théorique qui a été détourné par la suite par des approches trop attachées à établir la factualité historique. Depuis lors, un malentendu semble s’être installé, qui prétend que l’on ne saurait poser des questions générales (sur le statut des textes, des images, des objets analysés) sans prendre le risque de perdre en pertinence au niveau de l’ancrage dans les contextes sociaux et culturels analysés. Aussi, l’attention a-t-elle été portée de plus en plus aux configurations locales et/ou régionales, que ce soit dans les domaines religieux, économiques ou politiques. Si la recherche sur les sociétés anciennes a sans doute connu d’importantes avancées ces dernières années par la production d’études plus situées, elle connaît également un affaiblissement de la dimension critique, qui a pour corollaire une atténuation du dialogue avec les sciences sociales.
Dans le cadre d’une table ronde qui aura lieu le 10 juin 2015 à l’INHA (Salle Fabri de Pereic de 10h à 12h) autour des contributions d’un volume collectif en préparation, qui sera traduit en chinois, les antiquisants de l’EHESS se proposent de dialoguer avec des historiens, des sociologues, des anthropologues et des philosophes pour réfléchir sur ce projet fondateur dans la conviction que l’étude de l’Antiquité ne peut se faire qu’en relation avec les sciences sociales. L’Antiquité s’y définit en effet comme un terrain où les objets grecs et romains peuvent être appréhendés à partir du moment où ils posent le défi aux sciences historiques et sociales de remettre sur le métier leur propres outils et méthodes d’analyses, en s’interrogeant sur la genèse de leurs propres champs. Partant, qu’elles portent sur le statut du texte, de l’image ou de l’objet, qu’elles interrogent des domaines classiques (la littérature, le politique, l’économique, le juridique, le religieux) ou des objets nouveaux (la temporalisation du temps, les images et leurs codes, la dimension pragmatique des formes poétiques, les gestes du savoir, la circulation des biens et des personnes dans l’espace méditerranéen, les notions de sujet, d’auteur, de personne), les contributions présentées ont pour ambition de montrer non seulement que la microanalyse et l’étude de cas peuvent s’articuler avec une dimension réflexive et herméneutique, mais surtout que, par un dialogue serré avec les sciences sociales, les sociétés antiques n’ont pas fini de montrer leur actualité.
 
Sommaire du volume collectif :
 
Jean Andreau : Entre la mentalité et la stratégie : exemples de comportements économiques dans la Rome antique
Claude Calame : Mythes, rituels, pragmatique poétique : pour une anthropologie historique des récits héroïques grecs (version remaniée d’un article paru dans Europe 1005-1006, 2013 : 147-169)
Marcello Carastro : Le stylet et le plomb. Anthropologie religieuse et comparatisme
Jean-Michel Carrié : L’économie romaine, une économie de marché ? Chronique d’un débat historiographique
Cecilia Maria d’Ercole : Espaces, objets, circulations : un cas d’étude
François Hartog : Le « territoire » de l’historien antique (paru dans : Partir pour la Grèce,
Paris, Flammarion, 2015)
Christian Jacob : Bibliothèques antiques : jalons pour une histoire comparée
Pierre Judet de La Combe : Sur les confits en philologie (paru dans Quaderni urbinati di cultura
classica
, NS 90, 3, 2008)
François Lissarrague : Naples 12796 : histoire d’un vase (paru dans : Dialoghi di Archeologia
1985, p. 77-88)
Yann Rivière : Genèse d’une compilation de droit ancien : Justinien et le Digeste (à partir de l’article : « Petit lexique de la « réforme » dans l’œuvre de « codification » de Justinien (Autour de la constitution Deo auctore) », paru dans MEFRA, 125-2 (2013)
Filippo Ronconi : Les lunettes de Photius. Un savant byzantin et ses livres entre ancienne et nouvelle histoire

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