Aurélien Berra, Université Paris-Ouest Nanterre-La-Défense
Christian Jacob, EHESS
Filippo Ronconi, EHESS (CéSor)
3e vendredi du mois de 14h à 18h
Salle 10, 105 bd Raspail 75006 Paris
À partir du 18 novembre 2016
Ce séminaire veut être un lieu de réflexion sur les implications intellectuelles et culturelles des processus liés à la conception, à la circulation et à la transmission des textes dans différentes civilisations. Dépouillé de son aura romantique, l’acte de la création lettrée sera analysé dans son cadre social de référence. Une telle démarche implique des outils d’étude adaptés, permettant d’éclairer la genèse d’ouvrages conçus dans des perspectives et des objectifs différents, diffusés dans des civilisations et des milieux distincts, selon des dynamiques de circulation diverses. Dans cette perspective, la catégorie d’« auteur » est elle-même à reconsidérer dans une optique comparative, car elle regroupe des acteurs qui n’ont eu que très rarement l’intention de produire des ouvrages relevant de ce que Roman Jakobson a défini comme la « littérarité ».
Dans toute civilisation maîtrisant l’écriture, le travail lettré implique la prise en compte des modalités matérielles de la perpétuation de l’œuvre, c’est-à-dire de l’ensemble des mécanismes visant à transférer, sur un support matériel, l’apparente immatérialité de la pensée. Quel a été, dans différents milieux culturels, le rapport des auteurs aux supports de l’écriture ? Quelles ont été les places respectives de l’autographie et de la dictée ? Ces deux modalités ont-elles été associées à des productions lettrées distinctes ? Dans le cas d’ouvrages à l’architecture complexe, avait-on recours à des brouillons, et de quel type ? La compréhension des conditions de la première circulation des ouvrages est cruciale, pour éviter les risques d’anachronisme ou de contresens. Les ouvrages de l’Antiquité et du Moyen Âge sont exemplaires : considérés comme représentatifs de la sensibilité culturelle d’une certaine époque, ils n’étaient parfois diffusés qu’en un ou deux exemplaires. D’ailleurs, que signifie « publier un texte » dans les sociétés où il n’y a pas d’imprimerie ? Pour la plupart, les ouvrages de l’Antiquité et du Moyen Âge circulèrent d’abord dans des cercles restreints. Est-il possible de reconstruire les dynamiques de relecture et de correction, ou même de réécriture, qui découlent de révisions collectives ?
Ce séminaire tentera d’éclairer les aspects historiques, sociologiques et anthropologiques de la composition et de la circulation des textes, grâce à une approche comparatiste menée dans deux directions : l’espace (pratiques d’aires culturelles distinctes, contemporaines ou non, comme les mondes lettrés de la Chine, de l’Inde ou de l’Islam) et le temps (confrontation entre les pratiques du passé et celles encore en usage aujourd’hui dans certaines régions). Cette approche sera couplée à un questionnement méthodologique sur notre propre science normale philologique : comment envisageons-nous les pratiques savantes du passé à l’heure où prennent forme les humanités numériques ?
Sur cet arrière-plan comparatiste, trois lettrés de langue grecque seront étudiés cette année : Galien, Athénée et Photius.
Il se déroulera selon différentes modalités : études de cas, discussion de travaux historiographiques ou théoriques, intervenants invités, mais aussi séances de travail in situ dans différentes institutions vouées à la conservation et à l’étude des textes manuscrits de différentes cultures, en collaboration avec les spécialistes en charge de ces collections. La connaissance des langues anciennes n’est pas un pré-requis