Dans le cadre du séminaire collectif "Antiquité, territoire des écarts", Tristan Mauffrey, docteur de l’université Paris Diderot-Paris 7, interviendra sur :
ou les présupposés homériques d’une lecture moderne de la tradition de Gesar
Discutant : Maxime Pierre (Paris 7)
Jeudi 14 juin 2017 de 17h à 19h
EHESS, salle Lombard, 96 bd Raspail, 75006 Paris
Alors qu’elle cherche un chemin pour pénétrer dans le Tibet interdit, l’exploratrice et orientaliste Alexandra David-Néel rencontre en 1922 un « barde » auquel elle demande de lui réciter, pendant plusieurs semaines, « l’épopée » du « héros tibétain » Gesar. La transcription de cette performance sera ensuite adaptée par l’écrivaine sous la forme d’un récit (la première traduction en français de la tradition poétique de Gesar), ainsi que d’un article intitulé « L’Iliade thibétaine et ses bardes ». On le voit, la voyageuse se fonde naturellement, pour circonscrire ce nouveau territoire poétique, sur des catégories alors consacrées qui renvoient à un imaginaire le plus souvent (mais pas seulement) grec, et en particulier homérique.
On s’interrogera donc sur ce geste qui consiste à faire de l’Iliade un nom commun, un terme générique susceptible de faire entrer les traditions de Gesar, présentes dans toute la région himalayenne et centrasiatique, dans le patrimoine universel sous le terme englobant d’épopée, ce dont se chargera effectivement l’UNESCO en 2009. La démarche d’Alexandra David-Néel, située à la croisée des préoccupations du monde académique et des attentes du grand public, peut être abordée comme un exemple privilégié de la manière dont un certain imaginaire de l’épopée grecque oriente, dans l’Occident contemporain, le regard porté sur des cultures éloignées : derrière le projet universaliste qui vise à intégrer ces traditions poétiques dans une littérature mondiale réapparaît une vision fantasmée de la poésie épique comme forme de littérature originelle.