Dans le cadre du séminaire d’Images Re-vues
Alain Schnapp (U. Paris 1) interviendra en visioconférence sur le thème :
« Vers une ’Histoire universelle des ruines’. Archéophilie et archéophobie, d’Orient en Occident »
Vendredi 12 Mars 2021 de 16h à 18h
Inscriptions : vasso_zachari@yahoo.gr
Il n’existe pas plus d’homme sans mémoire que de sociétés sans ruines. Massives ou discrètes, inaltérables ou fragiles, les ruines font partie de notre environnement, elles conditionnent une part de notre action et de nos comportements sans parfois que nous en ayons connaissance. Elles sont un pont instable et constamment restauré entre la mémoire et l’oubli. Certaines sociétés comme l’Égypte ancienne confient à des monuments gigantesques et à des inscriptions imposantes la mémoire de leurs souverains, d’autres préfèrent pactiser avec le temps, comme les Mésopotamiens conscients de la vulnérabilité de leurs palais de briques crues qui préféraient enterrer dans le sol les briques de fondation porteuses d’inscriptions commémoratives. D’autres comme les Japonais du sanctuaire d’Isé vont encore plus loin en détruisant puis en reconstruisant à l’identique, en un cycle infini, leurs légères architectures de bois et de chaume.
Construire des monuments gigantesques, les parer avec les matériaux les plus raffinés n’est pas suffisant. Pour plus de sûreté, il importe de frapper les imaginations : la pyramide, le « palais sans rival », la « grande muraille » sont chacune dans leur genre des constructions si imposantes qu’elles valent autant par l’ombre qu’elles produisent (au sens que Borges donne à ce mot dans La muraille et les livres) que par leurs qualités proprement architecturales. Ce type d’architecture a quelque chose de démesuré qui dépasse sa fin propre, il incarne une sorte de transgression qui constitue un outil de propagande autant qu’un instrument de mémoire.
À travers les inscriptions sur les murs, les tablettes ou les vases de bronze, un discours est adressé aux siècles futurs car les souverains, leurs architectes et leurs artisans font encore plus confiance à la pérennité des écritures qu’à la solidité des murs qu’ils édifient. Les tablettes de brique crue des Mésopotamiens comme les inscriptions gravées sur les vases de bronze de la Chine ancienne, aussi dissemblables soient-elles, sont la preuve d’une volonté de transmettre au fil des générations des messages qui sont une part même de l’essence des monuments.
Face à cette tradition, l’Occident a inventé ce qu’on a appelé plus tard « le culte des monuments ».
L’histoire universelle des ruines vise à élucider le rapport indissoluble que chaque civilisation entretient avec les ruines. Certaines civilisations confient à des monuments gigantesques le soin de perpétuer le souvenir, d’autres, comme les poètes de la Grèce ancienne ou les bardes du monde celtique ou scandinave, font plus confiance à la magie de l’élan poétique pour conserver la mémoire de ce qui est advenu. C’est cette tension entre matériel et immatériel, entre permanence et impermanence, mémoire et oubli qui fait le cœur de cette recherche.